Ligues ouvertes : le sport avant tout?


Ligues ouvertes : le sport avant tout?

         Il n’y a aucun doute que, progressivement, le modèle européen s’aligne sur le modèle américain : le sport de haut niveau est instrumentalisé à des fins pour lesquelles il n’a pas été créé.[1] En effet, le modèle européen s’est longtemps basé sur l’objectif sportif comme but ultime, soit le classement et la maximisation de victoires. Pourtant, pour maximiser les victoires, il faut des ressources économiques pour payer les meilleurs joueurs. C’est ce rapport entre la performance, la rentabilité des clubs et les salaires des joueurs que nous allons analyser, puisqu’on a vite compris que dans le monde du sport, il faut avoir les meilleurs joueurs, quitte à faire faillite.

Le modèle européen est caractérisé par les inégalités financières et ceci explique en grande partie la logique de maximisation des victoires (win maximizer) puisque les clubs dit riches peuvent payer les meilleurs joueurs, qui assureront le plus grand nombre de victoires au détriment des clubs plus pauvres. Ces derniers n’auront, à leur tour, aucune chance d’accéder au système pyramidal, à savoir se qualifier pour des championnats nationaux ou les coupes d’Europe dans le cas du football. Le tableau ci-dessous présente les écarts budgétaires entre les clubs d’un championnat de football et tout juste après le tableau des quatre grandes ligues américaines sera présenté afin de voir à quel point il y a une différence énorme entre les deux systèmes. Les écarts dans les ligues américaines sont infimes, tandis qu'en Europe les inéglités sont flagrantes[2] :



Ligue 1 : Les 2 clubs les plus pauvres/riches

Saison

Écart

Budget** min. et max.

1995-1996*

3,1

5,9 vs 18,6

2002-2003

5,1

14 vs 71,5

2003-2004

5,2

15 vs 78

2004-2005

6,3

13,2 vs 82,9

2005-2006

5,2

15,5 vs 87,8

2006-2007

4,6

21 vs 97
 Source : LEP et * Sport’s, mai 1997
** En millions d’euros constants.



Écart budgétaire entre les 2 clubs les plus « pauvres » et les 2 plus « riches »

Saison

NFL

NBA

MBL

NHL

1997-1998

1,6

2,7

3,1

2,6

1998-1999

1,6

3,4

3,5

2,7

1999-2000

1,7

2,7

3,7

2,3

2000-2001

1,7

2,5

3,2

2,4

2001-2002

-

-

2,8

2,4

Moyenne 1989-2002

1,56

2,7

2,85

2,72

Source: Lavoie (2004, 83).



Cette force financière est grandement corrélée avec le pouvoir de recrutement des talents sportifs, car le coût de l’excellence sportive est déterminé par les coûts de la masse salariale. Il s’agit d’un cercle vicieux puisqu’à quelques exceptions près (l’exemple de Manchester United), la plupart des clubs européens ne sont pas profitables. En effet, les clubs cherchent à augmenter leurs ressources pour acquérir les meilleurs joueurs, progresser dans le classement et éviter de tomber dans une division inférieure, mais toute augmentation du budget est vite absorbée par les coûts salariaux, ce qui empêche l’augmentation de la profitabilité des clubs.[3] Le danger est bien sûr que la surenchère des salaires pour attirer les meilleurs joueurs mène les clubs à la faillite. En effet, les meilleurs talents ont le monopole de leur talent puisqu’ils sont non-substituables et la demande excessive pour ces joueurs entraîne des anomalies  dans le marché. Cette demande est plus grande que le point d’équilibre où le revenu marginal du talent est égal aux salaires. De ce fait, la plupart des équipes, sauf bien sûr quelques gagnants, ne seront pas en mesure de récupérer leur investissement en recrutement[4], car, n’étant pas les gagnants, elles ont moins de présence physique et de retransmission télévisée, ce qui a un impact négatif sur la rentabilité des clubs.  

Pour soutenir le fait qu’il y a une grande corrélation positive entre la masse salariale et la performance d’une équipe, nous nous sommes penchés sur quelques études et des exemples d’équipes qui sont tombées dans le cercle vicieux de la rémunération des joueurs.
Les salaires des joueurs dans le football européen sont dépendants de la performance et la contribution aux revenues de l’équipe.[5]

Les équipes qui utilisent un pourcentage plus élevé de rémunération liée aux performances, une particularité du système européen, dans le total de la rémunération sont des équipes qui ont des positions plus hautes dans la ligue.[6]

L’étude de Szymanski (2003) et celle de Simmons et Forrest (2004) ont permis de trouver de façon empirique que dans le soccer européen, la masse salariale prédit avec fiabilité la performance d’une équipe (selon les points gagnés et non l’occasion de gagner).[7]

En 2002 après s’être qualifié pour le Champions’ League, le club Leeds United s’est endetté afin de faire une enchère pour acquérir des joueurs qui lui permettraient d'entrer dans le classement des quatre premiers clubs anglais, soit le Manchester United, Chelsea, Arsenal et Liverpool. En 2004 pourtant, il a été relégué et a dû vendre les joueurs acquis sans clauses de contingences.  Le club tombe en faillite et même s’il est racheté, Buraimo, Simmons et Szymanski (2006) rappellent que plusieurs clubs ont eu des problèmes d’insolvabilité à cause de la croissance excessive de la masse salariale.[8]

Vrooman (2007) mentionne que l’absence de plafond salarial, au contraire du système nord-américain, pousse certains clubs européens à avoir une masse salariale qui dépasse 70% de leurs revenus, ce qui représente un risque d’insolvabilité accru.[9]

Bref, le sport professionnel en Europe garde sa raison d’être, soit la performance sportive et non économique comme c’est le cas en Amérique du Nord. Mais cette quête ultime de maximisation de victoires pousse les équipes européennes à s’endetter et faires des surenchères pour acquérir les meilleurs joueurs, qui vont procurer les victoires. Par ce fait, il se crée un cercle vicieux difficile à rompre : les équipes qui ont toujours été plus riches peuvent de permettre d’acquérir les joueurs les plus talentueux au détriment des équipes plus pauvres et l’écart se creuse de plus en plus. Pourrait-on intégrer le modèle américain en Europe? Est-ce préférable? Voici des questions qui pour l’instant restent dans la cour du débat.

[1] Bourg, Jean-François  et Jean-Jacques Gouguet (2005). Économie du sport, Paris, La Découverte, 116 p.
[2] Chantelat, Pascal (2010). Sport: économie & management, Paris, Economica, 256 p.
[3] Chantelat, Pascal (2010). Sport: économie & management, Paris, Economica, 256 p.
[4] Andreff, Wladimir (2011). « Some comparative economics of the organization of sports: competition and regulation in north American vs. European professional team sports leagues », The European Journal of Comparative Economics, vol. 8, no 1, p. 3-27.
[5] Simmons, Rob (2007). « Overpaid Athletes? Comparing American and European Football », The Journal of Labor and Society, vol. 10, p. 457–471.
[6] « Deloitte Annual Review of Football Finance 2012 ». Récupéré de http://www.deloitte.com/view/
en_GB/uk/industries/sportsbusinessgroup/sports/football/annual-review-of-football-finance/index.htm
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.

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